Dans l’Odyssée, Circé est la magicienne qui transforme les hommes en bêtes sauvages; plus particulièrement, elle transforme les compagnons d’Ulysse en porcs, puis parvient à séduire le héros au point qu’il reste un an sur son île avant de reprendre la mer. Cette image de la femme séductrice qui révèle les hommes à leur bestialité m’a longtemps obsédée avant que je lui trouve une forme adéquate. Située au carrefour de mes préoccupations sur les rapports entre les sexes, la frontière entre l’humain et le non-humain, le rôle de l’art comme magie, et la place du mythe dans la construction des images contemporaines, la figure de Circé est devenue pour moi l’emblème de la femme artiste : non seulement elle révèle les aspects latents et cachés du monde, mais encore elle affirme son pouvoir sur et contre la société des hommes. C’est un personnage trop oublié de la mythologie grecque, ou du moins qui a été trop souvent décrite depuis un point de vue masculin comme la femme perfide, tentatrice, et maléfique.

En m’emparant du personnage de Circé, je voulais en donner une version féminine, qui tente de répondre à la question: pourquoi transforme-t-elle les hommes en animaux? Réponse : parce qu’elle est elle-même une femme rongée de l’intérieur par une bête sauvage, parce qu’elle est une sirène.
La sirène est cet être hybride, mi-femme, mi-animal, toujours étranger parce qu’étrange.
La sirène est un être maudit, autrement dit sacré.
La sirène est un corps de femme sacralisé dans son étrangeté aux hommes, elle représente le fantasme masculin de ce qui en la femme effraie et fascine à la fois.
La sirène, c’est l’empreinte du corps de l’homme sur celui de la femme.

Quel est le secret que porte ce corps ? J’ai voulu dévoiler le secret, écarter le rideau, soulever le manteau. Et j’ai découvert : un homme.
La sirène est cruelle car elle est elle-même dévorée crue. Ses entrailles sont occupées par l’homme. La sirène souffre et lutte tout à la fois, son sourire est son salut. L’ambiguïté du corps de la sirène est celle des relations amoureuses.